Utiliser les événements
de sa vie pour en faire une source d’apprentissage
Par Hubert en 2006
Version pdf avec photos 32 pages
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Préambule
Les
réseaux d’échange de savoir : « Mon savoir et moi »
L’idée
d’écrire ce texte m’est venue à la suite d’un échange de
savoir avec Annie Bur, du réseau du 14e,
qui a duré 2 ans dont le thème était « mon savoir et moi ».
Cet échange qui a commencé comme une simple curiosité est devenu
pour moi un véritable révélateur. Le travail a consisté à
« raconter sa vie » et à en tirer des sources
d’apprentissage. Ceci paraît anodin, au fil du temps et des
récits, c’est un ensemble d’événements, d’émotions et de
surprises qui sont apparues. Ce travail d’Annie a fait l’objet
d’un mémoire de DESS, histoire de vie et réseaux, que vous pouvez
trouver à l’adresse suivante :
Les
savoirs classiques ne suffisent plus : les savoirs émergents
La
deuxième source de motivation d’écriture de ce texte est issue
d’un groupe de réflexion sur les savoirs émergents qui sont ou
seront nécessaires1
pour nous « débrouiller » dans notre vie avec de
nouvelles formes de difficultés. Ces nouveaux savoirs, ont leur
place autant dans la gestion de notre vie personnelle, que dans le
travail, que pour assurer notre responsabilité de citoyen et la
prise en compte de la fragilité de notre environnement.
De
quels savoirs a-t-on besoin aujourd’hui pour affronter un monde qui
change ?
« Ce n’est pas pendant les cours que les élèves apprennent » André Giordan2
« Ce n’est pas pendant les cours que les élèves apprennent » André Giordan2
Ce
texte a pour but de faire prendre conscience de ces savoirs qui ne
sont pas (pas encore) enseignés à l’école ou à l’université.
Ces savoirs ne sont pas pour autant
marginaux3,
ils sont peut-être même fondamentaux pour un individu aujourd’hui.
En effet, c’est ce type de savoir qui nous permet de nous adapter à
des difficultés de plus en plus croissantes et complexes de notre
siècle.
Un
défi pour les réseaux d’échanges réciproques de savoirs.
« Pour
sortir de la “ routine ” constituée des savoirs
“ traditionnels ” proches des savoirs scolaires, le
défi des RERS pourrait être de repérer, formaliser, nommer,
construire et proposer d’autres savoirs - savoirs sur le comprendre
et l’agir, savoirs sur le vivre ensemble, - pour répondre aux
interrogations existentielles des uns et des autres.
Il
s’avère nécessaire d’inventer de nouvelles façons de vivre
ensemble, de développer les interactions et les coopérations entre
personnes pour favoriser le partage du savoir en commençant par
réfléchir à un autre “ art de vivre ” tous ensemble,
en faisant de l’apprendre le pivot… »4
Le
problème est de discerner les phénomènes d’acquisition de ces
savoirs, de les répertorier, de les mettre en mots, pour mieux les
prendre en compte, et, éventuellement de favoriser leur
assimilation, pour une meilleure adaptation à notre civilisation.
Comment
développer des nouveaux savoirs dans des conditions de crise ou de
difficultés ?
Selon
le psychothérapeute Boris Cyrulnik, "environ
une personne sur deux subit un traumatisme au cours de son existence,
qu’il s’agisse d’un inceste, d’un viol, de la perte précoce
d’un être cher, d’une maladie grave ou d’une guerre".
Dans ses ouvrages, Boris Cyrulnik, explique qu’il faut abandonner
le mode de pensée qu’une cause provoque un traumatisme pour toute
la vie. On peut même inverser le phénomène, dans certaines
conditions et surtout avec une aide extérieure.
Christiane
Singer a aussi beaucoup écrit sur les situations de crise5 :
Elle
essaie de nous faire comprendre que les crises nous aident à
progresser pour nos apprentissages « nous
n’avons pas de crises nous avons des initiations »
Et
que rien ne serait pire qu’une vie sans difficultés « les
catastrophes ne sont là que pour nous éviter le pire »
Dans
ce texte, nous allons chercher dans quelles conditions « le
rebond » est réalisable, et si cela est possible, comment on
peut prendre conscience pour tirer profit de nos difficultés et
comment les transformer en apprentissage.
Dialogue avec l’ange
Dans
cette première partie, l’ange formateur, essaie d’expliquer à
Alain que l’expérience de sa propre vie peut lui permettre de
développer de nouveaux savoirs surtout dans les conditions de crise
ou de difficulté.
Pour
lire ce texte vous pouvez vous contenter des dialogues avec Alain, si
vous voulez en savoir un peu plus, un texte plus théorique (en bleu)
et à votre disposition à la fin de chaque dialogue, mais ce n’est
pas indispensable.
Premier échange
C’était
une belle soirée d’été, avec beaucoup de légèreté, une de
celle qui vous réconcilie avec la vie. Pourtant, Alain avait du mal
à apprécier toute la douceur du soir, il lui semblait que rien ne
pouvait être pire que ce qu’il vivait. Les autres étaient tous
heureux et le sort s’acharnait sur lui, pourquoi ? Alain était
prostré, complètement prisonnier de ses pensées.
- Bonjour, Alain
Alain
fait un bond, quelqu’un ici, ce n’était pas possible. Il se
retourne, personne ! Je deviens fou, j’entends des voix, il ne
me manquait plus que ça.
-
Je voudrais te parler
Cette
fois je n’ai pas rêvé c’est bien une voix, pourtant il n’y a
personne !
-
oui ?
-
Je voudrais te dire…
-
Qui êtes-vous ? Si c’est une blague je ne suis pas d’humeur à apprécier.
-
Je ne peux pas t’en dire plus pour l’instant, j’ai simplement envie de t’aider, enfin si tu le veux bien.
-
M’aider à quoi et pourquoi ?
-
Il me semble que tes pensées sont plutôt négatives et …
-
Je n’ai pas besoin d’aide, je suis dans une mauvaise période, mais ça va passer…ma femme me quitte, ma fille ne veut plus me voir, mon boulot, c’est pas terrible, les copains, je ne peux pas compter sur eux, mais tout va bien. Pourquoi je vous raconte tout ça. Et puis je ne sais toujours pas qui vous êtes, vous avez l’air de me connaître…pourtant vous ne m’avez encore rien dit.
Je dois être encore en train de rêver ou de
perdre la tête, je suis en train de me parler…
-
En fait oui, tu as raison…
-
Comment ça, j’ai raison ?
-
Quand tu dis que tu te parles à toi-même..
-
Je ne comprends rien.
-
Ne cherche pas à comprendre pour l’instant, considère que je suis ton ange gardien.
-
Un ange, il ne me manquait plus que ça ! C’est n’importe quoi. Ca n’existe pas de toute façon les anges !
-
Tu as encore raison, mais le problème n’est pas là, laisse tomber ça pour l’instant.
-
Comment ça laisse tomber, j’entends une voix dans ma maison alors qu’il n’y a personne et tu voudrais que j’accepte ça sans me poser de questions !!!
-
Je vois que tu as encore de la ressource, tu n’es pas encore complètement foutu…
-
Si c’est de l’humour, je sens que je ne vais pas aimer ton humour…
-
C’est bien de te poser des questions, mais, ce ne sont pas les bonnes.
-
Je ne me pose pas des questions, je te pose la question : qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce que tu veux ?
-
Je ne veux pas rentrer en conflit avec toi. Il me semble que tu es dans une phase pas aussi mauvaise que tu le crois, tu as quelques petites choses à apprendre, je te laisse réfléchir.
-
Mais de quoi je me mêle, je suis au bord de la dépression et ce type me dit que tout va bien, c’est du délire !
Alain
essaie encore de dialoguer avec l’ange, mais celui-ci ne répond
plus. Il reste très dubitatif après cette étrange conversation. Il
est encore sous le choc, il ne sait plus, est-ce une illusion due à
ses pensées qui le trahissent ? Un certain nombre de phrases
viennent résonner dans sa tête. Qu’est ce que ça veut dire « je
ne me pose pas les bonnes questions ? » « Tu es dans
une phase pas si mauvaise.. » Je sais, il y a toujours
pire, je suis en relative bonne santé, je pourrais être en fauteuil
roulant, au fond d’un lit, ou aveugle, sourd et muet…Ma vie n’est
pas pour autant facile, si j’avais une baguette magique pour…oui
tiens, pour quoi faire ? Des choses à apprendre ? J’ai
surtout envie d’être plus serein, d’avoir un peu plus de chance,
pour l’instant, j’ai l’impression que le sort s’acharne sur
moi.
Les
stades du deuil d’après Elisabeth Kübler-Ross
On
peut considérer que devant un événement marquant (décès,
séparation, perte d’un travail, maladie grave, etc.) notre
réaction suit les stades suivants :
-le
déni
C’est
le refus de croire à l’évidence ("Ce
n'est pas possible", "
J'ai toujours été en bonne santé").
-la
colère
Agressivité
("Pourquoi cela m'arrive-t-il à
moi ?")
-le
marchandage
La
personne essaye de gagner du temps ("Allez
on reste ensemble encore jusqu’à la fin de l’année, on décide
après »)
-la
dépression
C’est
une phase de grande tristesse qui peut être bloquante et peut
nécessiter de recourir à une aide extérieure
-l’acceptation.
La
personne accepte son sort, c’est seulement dans cette phase que la
parole est possible, elle peut passer à autre chose, profiter du
savoir que lui apporte cette nouvelle phase.
On
peut considérer que ces passages plus ou moins importants sont
normaux, sauf si on se bloque un peu trop longtemps sur un des stades
ce qui peut être dans ce cas pathologique. Le temps est nécessaire
pour le passage des différents stades, il faut laisser faire tout
simplement.
Deuxième échange *
Alain
se lève difficilement, la nuit a été entrecoupée de périodes
d’insomnies. Il prend son petit déjeuner avec la compagnie de
France Inter pour suivre les infos. Au moins, il y a un avantage
d’être seul, c’est celui d’être tranquille, de commencer la
journée à son rythme, sans avoir à parler avant d’être
complètement réveillé…
Alain,
bercé par les paroles des chroniqueurs du matin, pense au travail
qui l’attend : « comment débrouiller ce projet, qui va
s’occuper de la partie informatique ? Comment gérer
l’ensemble des régions ? Je ne comprends pas vraiment comment
ça marche ? Est-ce que je dois faire la formation moi-même ou
la confier à quelqu’un ? Et l’autre qui mélange tous les
documents sur son bureau, comment dois-je faire avec lui ? Je
vais lui conseiller de changer de poste….comment va-t-il le
prendre ? Tout ça c’est bien compliqué, je ne sais pas bien
si je suis à la hauteur, surtout en ce moment. »
-
Alors Alain en pleine réflexion ?
A non ce n’est pas vrai mes hallucinations me
reprennent, je vais vraiment mal…
-
Allons, Alain tu ne vas pas si mal que tu le penses !
-
Encore en train de me dire des banalités, si tu es là uniquement pour ça, tu peux t’abstenir.
-
Tu as raison, ce ne sont pas des choses à dire. Est-ce que tu es d’accord pour que l’on échange un peu sur toutes tes pensées ?6
-
Je n’ai pas trop de temps, mais pourquoi pas ? Au point où j’en suis, pour une fois que quelqu’un s’intéresse à moi…
-
On reparlera de ça plus tard. Pour l’instant, j’ai envie de te parler de ton projet. S’il était facile, ce ne serait pas un vrai projet, si on te l’a confié, c’est que ça nécessite une organisation. En fait, plus c’est difficile, plus c’est intéressant pour toi. Si tu te retrouves avec ce travail, ce n’est peut être pas un hasard, comme le reste d’ailleurs.
-
Qu’est-ce que tu veux dire ? Le reste ? Quel reste ?
-
Tout ce qui t’arrive, ce que tu considères comme les problèmes de ta vie, ce qui est en fait, simplement des moyens d’apprendre.
-
Bon là, je décroche encore, si tu oses me dire que toutes mes tuiles actuelles ne sont pas dues au hasard, et que quelqu’un les a placées sur mon chemin pour me faire évoluer, alors là je vais me mettre en colère, tu ne serais pas responsable au moins ?
-
Non, ne t’inquiète pas, enfin pas directement, je n’ai pas ce pouvoir, je suis là pour t’aider à prendre conscience que les événements de ta vie sont une chance…
-
Je connais la musique. Nietzsche a bien dit "Ce qui ne tue pas rend plus fort", si c’est ça ton principe…
-
Je vois que tu connais les philosophes, c’est bien.. Au fond Nietzsche a raison, il faut relativiser un peu, revenons à ton projet, tu veux bien qu’on en parle ?
-
Je ne suis pas contre, qu’est ce que tu en sais ?
En
annexe quelques repères théoriques sur la médiation pédagogique
par Alain Moal (Conférence du 25 mai 1999)
LA
POSE DE REPÈRES ET DE LIMITES
L'intentionnalité
et la réciprocité : Le médiateur affiche clairement et constamment
ses intentions par rapport au groupe d'apprenants. Il définit
clairement les objectifs poursuivis et les moyens mis en œuvre :
voilà comment nous allons procéder, qu'en pensez-vous etc. bref, il
joue la transparence en formation. A travers cette médiation, il
s'agit de "poser des repères" dans le cadre de la
situation pédagogique. Les questions que se posent les apprenants
("qu'est-ce que je fais là ? Qu'est-ce qu'on me veut ? En quoi
ce que j'apprends m'aidera à retrouver un emploi, à obtenir une
nouvelle qualification, à améliorer mes résultats scolaires etc.")
doivent être travaillées. Si l'intentionnalité du formateur n'est
pas clairement définie, dans les grandes options comme au quotidien,
la relation formateur-apprenants" en sera affectée.
-
Si tu veux on peut essayer de classer les problèmes à régler en fonction de leur difficulté ou de leur niveau. D’abord tu as a des éléments à connaître et ensuite à les mettre en œuvre
-
Je connais les lettres de l’alphabet et ensuite je fais des mots ?
-
C’est un peu ça, tu as plein de problèmes techniques à résoudre. Pour ça il te faut des connaissances, tu dois savoir pour faire, le savoir n’a aucun intérêt en soi, ce qui est important c’est de savoir faire.
-
C’est bien théorique tout ça, je sais conduire ma voiture et je n’ai pas besoin de savoir comment fonctionnent les cylindres et les pistons.
-
Tu as tout à fait raison, là c’est le deuxième niveau. Tu brûles les étapes, pour conduire tu as besoin de savoir qu’il y a des vitesses, un démarreur, des freins et comment on s’en sert.
-
C’est évident, t’a pas mieux comme exemple ?
-
C’est évident pour toi, tu le sais, tu ne te rends plus compte de ce que tu sais, pour quelqu’un qui débute en conduite automobile, c’est loin d’être évident. Ensuite si tu veux, l’autre niveau de savoir, c’est comprendre comment ça marche, si je reprends l’analogie avec la voiture, si tu tombes en panne, elle ne démarre plus par exemple, tu vas avoir besoin de comprendre pourquoi, pour savoir dépanner.
-
Je l’emmène chez le garagiste…
-
Si c’est le cas, c’est le garagiste qui a besoin de comprendre ce qui ce passe pour réparer. Mais même pour toi, si tu es seul au bord de la route, si tu comprends que c’est le fil de la batterie qui est débranché, et que tu sais le rebrancher, cela t’évitera du temps perdu et le prix de la dépanneuse.
-
Bon d’accord il faut savoir et savoir faire, il faut comprendre et, tu avais parlé d’un troisième niveau.
-
Bravo, je vois que tu suis un peu mes élucubrations. Pour le troisième on va revenir à la conduite. Pour bien conduire, il faut faire plusieurs choses à la fois. Il faut conduire avec tous les éléments à notre disposition, le volant, le débrayage, les freins, les vitesses, toutes les commandes et on a vu que ce n’est pas facile. Il faut en même temps regarder la route, les autres voitures devant nous, et aussi derrière avec le rétroviseur, les piétons susceptibles de traverser, les panneaux routiers, chercher sa route éventuellement, surveiller sa vitesse, sans évoquer la radio ou le téléphone.
-
C’est interdit de téléphoner.
-
On comprend pourquoi, notre cerveau est limité, il ne peut pas faire 36 choses à la fois.
-
Le notre oui, et le tien non, tu dois avoir des pouvoirs surnaturels…
-
Là n’est pas la question, en fait dans notre monde moderne, faire plusieurs choses à la fois, ou comme dans ton projet, tenir compte de tous les paramètres en même temps, ça devient de plus en plus courant, c’est difficile et c’est indispensable en même temps, sinon on ne conduit pas, que ce soit une voiture ou un projet. Beaucoup de métiers supposent une compétence forte dans ce troisième niveau, tout ce qui est management par exemple. Beaucoup de responsables ou d’enseignants ne sont pas à l’aise pour jongler avec toute la complexité de leur tâche, ils ne sont pas formés pour ça, ce sont des professions à risque pour les maladies psychiques.
-
Tu n’as pas tout à fait tord, tu aurais dû faire prof, tu as raté ta vocation.
-
Qui te dit que ce n’est pas mon rôle avec toi ?
-
Il faut que j’y aille maintenant sinon je vais être en retard, je vais aller « combiner » tout ça.
-
A bientôt, Alain
-
Je commence à prendre goût à tes élucubrations, à bientôt.
Savoir-faire,
savoir-comprendre, savoir-combiner Benoit
Weil
Je
voudrais à ce sujet rappeler une typologie des savoirs que j’ai
introduite avec Armand Hatchuel dans L’Expert et le système : il y
a d’abord le savoir-faire,
qui est le savoir de l’artisan, qui s’exprime sous la forme “si
je veux obtenir tel résultat alors je fais telle chose”, “si
j’ai telle caractéristique alors j’obtiendrai tel résultat”
et se conserve très bien dans les bases de données informatiques.
Il y a aussi le savoir-comprendre,
qui est le savoir du réparateur, et permet de rétablir un ordre qui
aurait été perturbé, et un troisième type de savoir, le
savoir-combiner.
Ce dernier est le savoir du stratège, qui permet de construire des
plans d’action ou de rendre compatibles des contraintes
antagonistes.
À
partir de ces trois notions, le cycle de création du savoir pourrait
s’écrire de la façon suivante. Au départ il y a une prescription
- c’est-à-dire le plus souvent un savoir-faire
se heurte à un problème nouveau -, et il faut passer par du
savoir-comprendre
et du savoir combiner
avant d’en arriver à un nouveau savoir-faire.
La vraie question est de savoir comment on peut accélérer ce cycle.
Trois ingrédients :
-
la création d’événements, dont j’ai déjà parlé ;
-
un cadre temporel compatible avec l’exploration ; c’est un point
très important qui souligne
-
l’impossibilité de mener ce cycle de production du savoir dans le
cadre des projets, dont la temporalité est très serrée et marquée
par l’urgence ;
-
enfin ce que nous avons appelé, en reprenant les termes d’Armand
Hatchuel, « l’apprentissage croisé », et la prise en
compte du rapport de prescription
Troisième échange
-
L’Ange, écoute moi, j’ai besoin de te parler. Reviens, je sais que tu es là, je ne sais même pas ton nom.
-
Qu’est ce qui se passe, Alain ?
-
Vraiment, je n’ai pas de chance ! ce matin j’étais en retard et j’ai essayé d’attraper un métro au dernier moment. Je suis tombé et me voilà au lit avec une cheville foulée. Le sort s’acharne sur moi, je n’ai vraiment pas de chance !
-
Et si c’était moi qui avais placé mon pied au bon endroit pour te faire trébucher ?
-
Tu es sérieux ?
-
Pas tout à fait, mais j’en suis capable…
-
Qu’est-ce que tu es en train de me dire, toujours tes fichues leçons ?
-
Je suis désolé, si je t’ennuie je peux repartir.
-
Ne fais pas semblant d’être susceptible, je sais ce que tu vas me dire que les événements ne sont pas là par hasard, ils sont des prétextes à l’apprentissage. Je ne vois pas du tout en quoi le fait d’être cloué au lit avec cette foulure va me servir à quelque chose.
-
D’abord, je ne suis pas responsable à chaque fois qu’il t’arrive une tuile, seulement de temps en temps…
-
Quoi ? Tu est en train de me dire que tu es la source de mes ennuis..
-
Laisse moi finir, je ne suis pas responsable de ta vie. Tu peux tomber seul des dizaines de fois, mais tu peux faire comme si c’était moi à chaque fois.
-
Ok, je sais. Je suis responsable de ma vie, et si tu arrêtais d’enfoncer des portes ouvertes pour en arriver aux faits ?
-
Tu disais tout à l’heure : « je ne sais pas à quoi ça va me servir » suppose que ce soit moi qui soit à la source de ta chute, quelle serait mon intention ?
-
J’en sais rien, c’est plutôt à toi de me le dire..
-
….
-
Alors ?
-
Laisse moi le temps de réfléchir.
-
(Silence)…
-
Si j’étais à ta place, ça pourrait être pour me calmer. Je suis trop speed en ce moment. Ca va me permettre de prendre du temps, d’être seul, de me reposer. De me lancer dans l’écriture de mon article que je repousse de plus en plus, faire un peu de sport pour renforcer mes chevilles, être plus cool. En fait, ce n’est pas si grave d’être en retard.
-
Eh bien, pour quelqu’un qui n’avait pas d’idées, je me demande même si tu ne l’as pas fait exprès…
-
C’est n’importe quoi !
-
Inconsciemment bien sûr.
-
Bien pratique l’inconscient pour expliquer n’importe quelle fadaise, tu deviens psychanalyste maintenant ?
-
De toute façon, ça n’a pas d’importance. Ce qui est intéressant c’est ce qui se passe dans ta tête quand un ennui arrive. Si tu veux je te raconte une histoire chinoise de Lao-Tseu, sur ce sujet.
-
Et voilà maintenant le moine bouddhiste qui revient…va pour le conte chinois de toute façon, ça m’occupe, je plaisante, j’aime bien les histoires, parfois les anciens faisaient preuve de beaucoup de sagesse
-
Ecoute :
-
Il y avait, dans un village, un homme très pauvre qui avait un très
beau cheval. Le cheval était si beau que les seigneurs du château
voulaient le lui acheter, mais il refusait toujours. "Pour moi
ce cheval n'est pas un animal, c'est un ami. Comment voulez-vous
vendre un ami ?" demandait-il.
Un matin, il se rend à l'étable et le cheval n'est plus là.
Tous les villageois lui disent : "On te l'avait bien dit ! Tu aurais mieux fait de le vendre. Maintenant, on te l'a volé... Quelle malchance !"
Le vieil homme répond "Chance, malchance, qui peut le dire ?"
Tout le monde se moque de lui. Mais 15 jours plus tard, le cheval revient, avec toute une horde de chevaux sauvages. Il s'était échappé, avait séduit une belle jument et rentrait avec le reste de la horde.
"Quelle chance !" disent les villageois.
Le vieil homme et son fils se mettent au dressage des chevaux sauvages. Mais une semaine plus tard, son fils se casse une jambe à l'entraînement.
"Quelle malchance !" disent ses amis. "Comment vas-tu faire, toi qui est déjà si pauvre, si ton fils, ton seul support, ne peut plus t'aider !"
Le vieil homme répond "Chance, malchance, qui peut le dire ?"
Quelques temps plus tard, l'armée du seigneur du pays arrive dans le village, et enrôle de force tous les jeunes gens disponibles.
Tous... sauf le fils du vieil homme, qui a sa jambe cassée.
"Quelle chance tu as, tous nos enfants sont partis à la guerre, et toi tu es le seul à garder avec toi ton fils. Les nôtres vont peut-être se faire tuer..."
Le vieil homme répond "Chance, malchance, qui peut le dire ?"
(Lao-Tseu)
Un matin, il se rend à l'étable et le cheval n'est plus là.
Tous les villageois lui disent : "On te l'avait bien dit ! Tu aurais mieux fait de le vendre. Maintenant, on te l'a volé... Quelle malchance !"
Le vieil homme répond "Chance, malchance, qui peut le dire ?"
Tout le monde se moque de lui. Mais 15 jours plus tard, le cheval revient, avec toute une horde de chevaux sauvages. Il s'était échappé, avait séduit une belle jument et rentrait avec le reste de la horde.
"Quelle chance !" disent les villageois.
Le vieil homme et son fils se mettent au dressage des chevaux sauvages. Mais une semaine plus tard, son fils se casse une jambe à l'entraînement.
"Quelle malchance !" disent ses amis. "Comment vas-tu faire, toi qui est déjà si pauvre, si ton fils, ton seul support, ne peut plus t'aider !"
Le vieil homme répond "Chance, malchance, qui peut le dire ?"
Quelques temps plus tard, l'armée du seigneur du pays arrive dans le village, et enrôle de force tous les jeunes gens disponibles.
Tous... sauf le fils du vieil homme, qui a sa jambe cassée.
"Quelle chance tu as, tous nos enfants sont partis à la guerre, et toi tu es le seul à garder avec toi ton fils. Les nôtres vont peut-être se faire tuer..."
Le vieil homme répond "Chance, malchance, qui peut le dire ?"
(Lao-Tseu)
-
C’est une belle histoire, donc c’est une chance pour moi d’être tombé ?
-
C’est à toi de décider…à bientôt !
Cette
histoire
est tirée du classique chinois Huainan
Zi et elle
est connue de tous les Chinois. Sa morale est que Huo
(une malédiction) est souvent Fu
(une bénédiction) déguisée, et vice-versa. La chance
et la malchance
sont les arcs opposés d'un cercle interactif ou transformationnel.
Le principe préconisé est qu'il est recommandé de regarder au-delà
de ce qui semble être un événement positif et de rester alerte en
vue de n'importe quel possible événement négatif subséquent.
Selon ce concept, il est sage de ne pas agir imprudemment, mais
d'exercer plutôt une bonne maîtrise sur ses émotions. De cette
façon, un événement heureux est moins susceptible de faire sombrer
dans la souffrance. Un tel sang-froid réclame la conscience du
principe du Tao « Le renversement est le déplacement du Tao », et
la connaissance que le positif et le négatif sont inter reliés, et
qu’ils culminent dans Wu
ji bi fan,
ou « Le renversement inévitable de l'extrême ».
Il y a une
croyance chez les Chinois à l'effet que le Tao évolue selon une
voie dynamique et circulaire, et que tout ce qui est déterminé par
le Tao fait partie d'un processus de changement constant.
Il ne
peut pas y avoir de contrôle sur des opposés se transformant par
leurs contraires, autrement que par quelqu'un qui a atteint le Tao ou
une complète illumination; c'est seulement de cette façon que la
chance
et la malchance
demeurent dans leur état originel d'unité indissoluble.
Lao Zi
considérait l'interrelation entre fu
et huo
et leurs contraires comme un aspect concomitant de la réalité. Ceci
pourrait être interprété comme un encouragement à la passivité
et un frein à l'initiative, parce que suggérant une fatalité des
événements qui annule tout effort humain. Toutefois, dans la
pratique, la chance
et la malchance
s'inversent seulement dans des circonstances particulières. Dans le
cours normal des événements, elles demeurent comme elles sont, et
les humains non illuminés peuvent maintenir le statu quo en
encourageant l'interrelation positive plutôt que négative entre la
bonne et la mauvaise fortune, comme cela se produit dans la vie de
tous les jours.
Quatrième échange
-
Comment ça va aujourd’hui, Alain ?
-
Bof, j’ai envie de courir.
-
Eh alors ?
-
Comme tu t’en doutes, je ne peux pas !
-
Tu es de plus en plus perspicace…
-
Tu en parles facilement. Tu ne risques pas de te casser une jambe !
-
Détrompe toi ! Nous avons aussi nos tuiles, mais je ne suis pas là pour te parler de moi
-
Dommage !
-
Souviens-toi que parfois la meilleure chose qui puisse t'arriver, c'est de ne pas obtenir ce que tu veux
-
Tu es incorrigible, ils sont tous comme toi là haut ?
-
Allez ! Je suis dans un bon jour puisque tu ne peux pas te sauver je vais te donner une autre maxime: « Le bonheur, c'est de continuer à désirer ce qu'on possède » c’est de st Augustin.
-
Chouette, mon bonheur c’est d’être dans ce lit sans bouger, merci St Augustin..
-
C’est tout à fait, ça tu deviens vraiment un sage..
-
Arrête de me charrier.
.
Gaston
Bachelard disait : « On connaît toujours par et contre une
connaissance antérieure. L'esprit est déjà vieux quand il vient au
monde. Apprendre, c'est changer
de système de représentations. Seul, je n'ai que des certitudes, je
n'ai que des croyances, je n'ai que des opinions. C'est dès lors que
je vais confronter mes connaissances avec autrui que peut naître le
doute que le savoir viendra combler” Il est important de mettre en
place un premier savoir qui sera un savoir sur soi, condition
préalable avant tout apprentissage plus large mais aussi et ensuite
développer du savoir travailler en réseau pour apprendre en
communiquant, en se confrontant aux choses et aux personnes, en
échangeant collectivement. »
Cinquième échange
-
Ça se mélange dans ma tête, je ne sais plus très bien où j’en suis, je reconnais que toutes tes idées ça me bouscule, j’ai envie de ne plus penser, ça me fatigue
-
Tu es sur la bonne voie laisse passer du temps, tout changement en profondeur est perturbant, si j’osais je te parlerais de la sagesse Taoïste
-
Ose, ose, ne sois pas timide…j’ai du ‘conflit cognitif’ plein la tête, alors un peu plus un peu moins…
-
Et bien, dis donc, tu as effectivement un peu mal à la tête avec tous ces mots savants.
-
Bon d’accord, je ne sais pas bien ce que ça veut dire, mais il faut bien je te montre que je ne suis pas si ignorant.
-
Je n’ai jamais dit ça.
-
C’est toujours toi qui a l’air de donner des leçons !
-
Je veux bien que ce soit ton tour.
-
Hum, je te reconnais bien là, je suis pris à mon propre piège.
-
C’est encore toi qui décides, tu n’es pas obligé
-
Bon, qu’est-ce que tu veux savoir ?
-
Savoir, savoir faire, savoir combiner ?
-
Tu en as oublié un : savoir comprendre. Je suis encore naïf, c’était exprès ?
-
A toi de voir…
-
Tu m’énerves.
-
Tu parlais de perturbation.
-
Et bien, ce que tu me dis entre en conflit avec ce que je pensais avant et même si je considère que tu as raison, et bien j’ai du mal à accepter ce que tu me dis. ça bouleverse complètement mon mode de raisonnement.
-
Eh bien, je crois que là, je n’ai rien à ajouter.
-
J’ai beau le savoir, ça ne me permet pas de penser autrement.
-
Patience, il faut du temps, tu es comme un équilibriste sur son fil. C’est le déséquilibre qui le fait avancer. S’il s’arrête ou va trop vite, il tombe.
-
Ce n’est pas trop profond au moins ?
-
Ta pensée ou le précipice dans lequel tu risques de tomber ?
-
La profondeur de ton humour !
-
C’est important de ne pas se prendre trop au sérieux, l’humour par rapport à soi même et à ses propres réactions est souvent un bon moyen de s’en sortir.
-
Bon, moi j’ai ma dose pour aujourd’hui, sinon ma tête va exploser.
Le
conflit cognitif ou conceptuel
Les différences entre les prédictions, conceptions et hypothèses
des apprenants et les observations, les vérifications, les résultats
d'études, etc. produisent chez eux un état de déséquilibre
appelé conflit ou choc cognitif. Lorsque
l’apprenant se heurte à des données qui l'obligent à rectifier
ses conceptions ou représentations, il doit revoir les associations,
les représentations, les liens, les processus, etc. qui l'ont mis
sur une fausse piste pour ensuite accepter la nouvelle connaissance,
ajuster ses conceptions et en arriver, selon le terme de Piaget,
à une accommodation. L'enseignant qui adopte une pédagogie
constructiviste se servira du conflit cognitif pour engager
ses élèves dans une démarche de réflexion, de recherche et de
validation de connaissances.
Sixième échange
-
Aujourd’hui, j’ai envie que tu me parles de la simplicité. J’en ai marre des idées compliquées.
-
Tu veux dire complexes.
-
Ça y est il recommence !
-
Bon, si tu veux je reformule, je veux bien te parler du simple, du compliqué, et du complexe. C’est la base de la pensée systémique, mais ce n’est pas si simple, il faut que tu sois d’accord. J’en profite pour te rappeler qu’il n’est possible d’expliquer quelque chose à quelqu’un que s’il est d’accord et que la proposition soit claire8 .
Alors je te pose de nouveau la question :
est-ce que tu veux que je parle de la différence entre simple et
complexe ?
-
Si je peux me permettre, tu n’es pas clair du tout, tu parles de complexe, de simple, de compliqué, je mélange tout.
-
C’est un paradoxe d’apprentissage.
-
Tu le fais exprès pour m’embrouiller un peu plus ?
-
Un peu.
-
Je m’en doutais, le pire c’est que j’aime bien, et moi qui avais souhaité de la simplicité aujourd’hui !
-
Là, c’est du masochisme.
-
Non, je crois que j’ai compris, tu essayes de passer une sorte de contrat avec moi sur ce que tu veux me faire comprendre. En même temps tu ne peux pas être complètement clair, sinon c’est que je sais déjà..
-
C’est exactement ça, l’important, c’est l’intention et en plus j’ai ta réponse à ma question, même si tu ne l’as pas encore formulée, je sens que tu es intéressé par la question.
-
On peut rien te cacher..
-
Alors, on y va. Si je prends un airbus, je le démonte en pièces détachées, je mets chaque pièce en ordre bien répertoriée. Je peux dire que chaque pièce est simple elle a une matière, une forme, une utilité, je peux la faire construire à l’identique par un spécialiste.
-
Tu connais les airbus, toi ? Tu n’as pas besoin d’avion pourtant ?
-
Suis-je clair ?
-
J’ai un morceau dans les mains, c’est un coussin du siége du pilote.
-
Si tu veux.
-
C’est le simple ?
-
Oui, exact !
-
Si maintenant, je te donne les plans et que je te demande de remonter l’avion comme il était avant
-
Là, pour moi, ce n’est pas simple du tout.
-
Effectivement c’est compliqué il faut du temps, des spécialistes, mais c’est possible, la preuve ça existe ?
-
Pour moi ce n’est pas possible.
-
Si on te donne des cours et du temps, de l’aide ?
-
Peut être…enfin je comprends ce que tu veux dire c’est à la portée de l’homme de fabriquer un avion ?
-
Voilà, c’est ce que l’on appelle un problème compliqué, il n’est pas encore complexe.
-
Ah, le voilà, celui-là !
-
Maintenant, une autre notion : si je prends un plat de nouilles, je le verse dans une assiette, je prends un deuxième plat et je te demande de reproduire à l’identique le premier.
-
Facile, je pèse le même poids de nouilles, je verse dans une autre assiette.
-
Attention ! Je vais vérifier la position de chaque nouille dans l’assiette, si elle passe dessus ou dessous une autre.
-
Là évidemment, c’est impossible.
-
Non pas impossible, c’est complexe. L’interaction entre tous les éléments rend difficile la clarté, la simplicité et la reproduction à l’identique est quasiment impossible. L’étude d’un problème complexe n’est pas la même que celle d’un airbus.
-
Tu devrais en parler aux ingénieurs en aéronautique de ton plat de nouille tu vas les faire marrer !
-
L’image est un peu triviale, je le reconnais. Pense maintenant à l’équipe de ton projet, comment est-elle constituée, quelles sont les interactions entre les membres, comment passent les informations, si un membre n’est pas là, que se passe t-il ?
Quelle est ta place dans ce groupe?
Pourquoi celui-ci ne fait jamais ce que tu
lui dis, quelle est la conséquence sur les autres. Et aucune équipe
n’est identique, toutes sont différentes.
-
Merci pour les nouilles de mon équipe !
-
Ce n’est pas ce que je voulais dire
-
Effectivement, c’est vraiment un plat de nouilles mon équipe, je veux dire que tu as raison pour la complexité. Et alors comment fait-on pour le manger le plat de nouille ?
-
Le manger c’est facile, savoir le gérer ou le comprendre c’est plus difficile et probablement que l’on va revenir sur le savoir combiner qui consiste à gérer la complexité.
-
J’ai l’impression que ça va être un prochain épisode
Olivier Schmitt
Pourtant, "complexité" est une
notion intéressante dans la mesure où elle suppose et a à
expliciter sa distinction d'avec la notion de complication. La notion
de complication est ici associée à celle de simplicité :
pouvoir définir une situation ou un objet comme « compliqué »,
c'est affirmer ou sous-entendre qu'ils sont intelligibles à partir
d'un modèle simple,
c'est-à-dire qu'ils ne posent pas de problème
de droit, mais seulement pratique. La complexité pose en ce sens le
problème
des jugements qui partent de modèles simples et font la différence
entre ce que nous pouvons pratiquement faire ou connaître et ce que
nous pourrions faire ou connaître si nos moyens n'étaient pas
limités. Elle rencontre corrélativement les notions
d'irréductibilité (le « tout » est-il irréductible à
la somme de ses parties ?) et de « rapport de
connaissance » (le fait que nous devions poser des questions et
appliquer des instruments différents pour différents objets
traduit-il une différence qualitative intrinsèque de ces objets ou
renvoie-t-il seulement à nos limitations de calcul et
d'observation ?) » .
En somme, la
pensée complexe
n'est pas le contraire de la pensée simplifiante, elle intègre
celle-ci ; elle opère l'union de la simplicité et de la
complexité, et même, elle fait finalement apparaître sa propre
simplicité. En effet, le paradigme de complexité peut être énoncé
aussi simplement que celui de simplicité : alors que ce dernier
impose de disjoindre et de réduire, le paradigme de complexité
enjoint de relier tout en distinguant.
La pensée
complexe
est essentiellement la pensée qui intègre l'incertitude et qui est
capable de concevoir l'organisation. Qui est capable de relier, de
contextualiser, de globaliser, mais en même temps de reconnaître le
singulier et le concret. »
-
Juste une dernière chose, une devinette : que préfères-tu pour expliquer un système complexe un schéma simple ou une explication longue et compliquée ?
-
Je sens le piége.
-
Le bon sens populaire incite à répondre le schéma simple.
-
Je me doutais bien que ce n’était pas la bonne réponse, la simplicité risque d’être réductrice et en fait de ne pas reproduire la réalité, d’être en fait une illusion, ça ne va pas être facile à expliquer.
-
Bien, tu as raison, ce n’est pas facile à étudier et d’ailleurs, même les spécialistes échouent quelquefois. Par exemple qui est capable de faire un schéma simple du système économique de la France ? Et les idées simplistes qui doivent régler les problèmes, comme augmenter les salaires, diminuer le temps de travail, les « nouilles » sur lesquelles agir sont tellement nombreuses que ce n’est pas simple. Et ça ne peut pas l’être, au risque de dénaturer complètement le sujet.
-
Cette fois, j’ai vraiment mal à la tête, et une bonne sieste ne me fera pas de mal.
-
Comme tu veux, Alain.
Olivier
Schmitt nous met en garde contre cette illusion réductrice des
choses :
« Quoi de
plus naturel
que de simplifier les choses ? Aller au plus évident,
schématiser, séparer les éléments d'un ensemble. C'est un premier
pas dans l'exploration du réel, un commencement d'ordre dans notre
esprit confronté au désordre du monde. Nécessaire, donc. Mais
trompeur. Car si on s'arrête en chemin, si on prend le point de
départ pour un point final, si on installe une certitude à la place
de ce qui n'est, au mieux, qu'une approximation, si on confond la
partie avec le tout, alors on se forge une vision réductrice des
choses. Et tôt ou tard, on en paie le prix. »
Septième échange
-
Alain, si tu veux je peux te faire rencontrer d’autres personnes qui ont des expériences particulières.
-
Je suis inquiet, quelle genre d’expérience ?
-
Toujours ta redoutable méfiance ! Tu ne me fais pas encore confiance à ce que je vois. En fait, c’est une personne qui a comme toi et on pourrait dire comme tout le monde, fait des expériences douloureuses, elle parle de ce qu’elle a vécu.
-
Je suis toujours d’accord pour rencontrer de nouvelles personnes. Qui est cette personne ?
-
Elle s’appelle Florence, a une trentaine d’années, un mari, une charmante petite fille et elle est enseignante, le mieux, c’est que tu lui poses des questions directement.
Alain
rencontre Florence
-
….il semble que tu as vécu des événements susceptibles d’avoir une influence sur le cours de ta vie.
-
Il y en a au moins deux :.
Il y a dix ans, j’ai eu un accident de
moto, j’étais à l’arrière, c’est mon copain qui pilotait la
moto. On a percuté une voiture.
Il a eu un traumatisme crânien et j’ai eu
une fracture de la malléole. A la suite de cet accident, il a
complètement changé, il est devenu violent et possessif.
Comme on vivait dans la même ville la
situation étant devenue invivable pour moi, ce qui fait que l’on
s’est séparé.
J’ai décidé de fuir, je suis partie un
an comme jeune fille au pair aux Etats Unis.
Ça a été le début d’une nouvelle vie,
grâce à cet accident.
Ça, je l’ai compris plus tard.
-
Comment ça ?
-
Effectivement après, il ne m’est arrivé que des choses bien. J’ai rencontré plein de gens, j’ai fait beaucoup de choses intéressantes, ensuite j’ai passé le concours de prof des écoles, ma vie a été complètement bouleversée.
Voilà, c’est le premier événement et
puis le deuxième c’est une rencontre avec un char à voile !
-
Tu peux m’en dire un peu plus.
-
J’étais partie à Berck sur mer dans le cadre d’un club pour aller prendre des photos de la course de chars à voiles des 6 heures de Berk sur mer. Nous sommes partis tôt le matin, arrivé sur la plage, on a commencé à faire des photos. Le directeur de la course nous a emmenés dans sa voiture au bout de la plage, là où on ferait de superbes photos.
Effectivement c’était l’endroit où les
chars à voile faisaient demi tour, c’était intéressant pour la
photo.
Je suis descendue de la voiture et… J’ai
eu un trou noir : je me suis réveillée étendue sur le sable,
j’avais froid et mal.
-
Tu as complètement oublié ce qui c’est passé ?
-
Je ne me souviens pas du tout, je me rappelle les dernières images : c’est d’avoir regardé la plage et d’avoir dit « c’est super beau ». Et pourtant après l’accident, je suis resté une heure part terre en attendant les secours
Je me suis retrouvée à l’hôpital avec
mes deux jambes cassées.
……..
-
Par la suite, as-tu une vue différente sur ta façon d’être ?
-
Après on voit les choses différemment, on apprécie vraiment tout ce qui peut arriver, mais vraiment.
J’ai beaucoup changé, avant, j’étais
stressée par des riens :il n’y a plus de fuel dans la cuve,
la voiture qui ne marche pas, cette facture qui n’est pas payée,
tout arrive en même temps, c’était l’angoisse. Ca c’est fini
je ne me prends plus la tête là-dessus. Il y a des solutions à
tous ces petits soucis de la vie quotidienne. Je suis beaucoup plus
détachée par rapport à tout ça. C’est nouveau, avant, j’étais
une angoissée permanente.
-
Est-ce qu’il y a d’autres changements que tu as pu observer ?
-
J’ai sans doute appris d’autres choses, j’ai l’impression d’avoir complètement changé. Je ne suis plus la même, quelque chose s’est cassé, qui est parti avec l’accident, quelqu’un d’autre est arrivé. J’ai l’impression de tout redécouvrir de tout réapprendre, c’est un peu un état général qui a changé.
-
Tu avais dit ça pour ton précédent accident, donc pour évoluer ta méthode, c’est un accident tous les dix ans…et tu refais table rase ? (En plaisantant)
-
Moi c’est comme ça j’avance par accident, (rire) il ne faudrait pas que ça continue, surtout que ça s’aggrave dans le temps !
-
Il vaudrait mieux les éviter!
-
Effectivement c’est comme ça, j’en avais pas conscience il y a dix ans, j’en est pris conscience longtemps après, que c’était positif dans ma vie cet accident. Là, c’est plus rapide, c’est pas encore complètement fini, mais déjà je me dit que la vie est belle.
-
Et bien merci pour ce témoignage intéressant.
-
A bientôt
Cette expérience est intéressante par le retournement d’un traumatisme négatif qui par la suite est devenu positif. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille nécessairement avoir un accident pour évoluer, quoi que, d’après Christiane Singer :
" Les crises nous dévoilent, si nous savons faire de l’échec un allié, notre vraie vocation et nous conduisent au seuil d’une délivrance insoupçonnée. "
« Et y a-t-il pire que d’avoir traversé la vie sans houle et sans naufrage, d’être resté à la surface des choses, d’avoir dansé toute une vie au bal des ombres ? »
Mais comment avoir cette capacité de « rebondir » sur un événement marquant, ce sera peut-être l’occasion d’en parler dans un autre échange.
Huitième échange
-
Si tu veux, Alain, je peux encore te raconter un conte sur les perceptions différentes des individus.
-
J’adore les histoires, surtout quand c’est toi qui les racontes
-
Un homme voit au bord de la route des casseurs de cailloux. Le premier casseur de cailloux a le visage torturé. L'homme lui demande: «Qu'est-ce que vous faites?» Le casseur de cailloux répond: «J'exerce un métier affreux et je suis mal payé!» L'homme s'approche du deuxième casseur de cailloux, qui n'a pas l'air de trop souffrir: «Qu'est-ce que vous faites?
- Je casse des cailloux. C'est un métier en plein air. C'est bien.»
Il s'approche du troisième casseur de cailloux, qui a un visage radieux. «Que faites-vous?
- Vous le voyez bien! Je bâtis une cathédrale!»
Le geste est le même, mais c'est le sens que l'on attribue à ce que l'on fait qui fait toute la différence.
-
Elle est belle cette histoire, comment faire pour que ces trois hommes se rencontrent ?
-
Tu perçois bien la difficulté, le premier est sûrement difficile à persuader qu’il fait un métier fantastique, la recette du bonheur, tous les philosophes le disent, est en nous et pas extérieure.
-
C’est facile à dire, tu expliqueras ça à ceux qui meurent de faim.
-
Oui tu as raison. Il y a des limites à ce type de raisonnement, mais je suis frappé de voir comment, des enfants de pays difficiles, peuvent jouer joyeusement tout en étant les plus démunis.
-
Tu pourrais aussi citer Diogène dans son tonneau.
-
Parfaitement, là encore peu de personnes sont capables d’atteindre un tel détachement, une telle sagesse.
-
Ca devient presque inhumain.
-
Oui, je te l’accorde.
Un
adulte peut-il devenir un résilient ?
Boris Cyrulnik
Un
adulte et même une personne âgée. Nous avons un groupe de
recherche qui travaille sur ce sujet et va commencer à publier des
travaux dans quelques mois. Jusqu'à un âge avancé, il existe des
flammèches que l'on peut repérer pour essayer de développer des
processus de résilience. Même dans la maladie d'Alzheimer, il y a
des flammèches : l'accès aux mots se perd mais on peut encore
communiquer avec des gestes illustratifs et démonstratifs, le détour
de la musique et de la danse. Au lieu d'accentuer les blessures de
ces malades et les rejeter, on continue ainsi à les faire participer
au monde des humains. Et, que ce soit au début ou à la fin de la
vie, n'est-ce pas un objectif capital?
Neuvième échange
-
Je commence à prendre goût à nos discussions, il me semble que je suis plus serein, encore un peu et je vais retrouver le sourire !
-
Il me semble que tu peux accepter d’être heureux malgré toutes les tuiles qui te sont tombées sur la tête ces derniers temps.
-
Je propose de réfléchir à cette évolution. De te poser la question des conditions de ce changement, d’essayer d’en faire un véritable apprentissage, pour toi, mais aussi pour les autres.
-
Je vois que tu n’as pas perdu les bonnes habitudes, je te dis que je vais mieux et la seule chose que tu trouves à dire, c’est qu’il faut que j’en fasse d’avantage.
-
Je te connais maintenant, tu résistes un peu pour la forme, ce petit travail de réflexion va te plaire.
-
D’accord mais comment faire ? Je ne sais pas trop quelle démarche j’ai utilisée. C’est probablement ton influence.
-
Donc si je pars maintenant tu ne peux plus rien faire, tu vas retomber dans tes difficultés précédentes ?
-
Non, pas complètement
-
Ce que je te propose c’est de réfléchir à la façon de faire, à ce que tu as vécu, et de voir, de porter un regard sur ce changement. En quelque sorte de te forger une méthode qui te permette la prochaine fois de t’en sortir sans moi.
-
« Méthode », c’est un bien grand mot, je te trouve optimiste sur ce coup là, à mon avis il n’y a pas de méthode.
-
Je le fais exprès d’utiliser ce mot pour que tu ne restes pas sur des généralités, je voudrais que tu approfondisses vraiment, que tu prennes du recul. Sur le fond tu as raison, il n’y a pas de méthode, plutôt une démarche d’esprit à découvrir.
-
Par où veux-tu que je commence ?
-
Racontes moi ta démarche depuis les événements qui te sont arrivés jusqu’au moment où tu te sens mieux. En fait l’important ce n’est pas que tu sentes mieux, c’est que tu puisses en tirer un apprentissage pour la prochaine fois.
-
Je n’ai pas envie de tout recommencer, tu la connais mon histoire.
-
Tu fais semblant de ne pas comprendre, je sais que tu comprends l’intérêt de parler ou d’écrire, les spécialistes diraient, verbaliser. Tu peux le faire sans moi, avec une autre personne c’est plus facile.
-
Je comprends, il faut tenir compte de ses expériences pour ne pas renouveler les mêmes erreurs. La prochaine fois que je suis pressé, je ne vais plus courir pour prendre mon métro.
-
Ton exemple est intéressant. C’est une étape, mais ce n’est pas suffisant. C’est ce qui a fait l’évolution de l’homme depuis la nuit des temps. La tendance naturelle est d’appliquer directement le fruit de nos observations à l’action suivante. Ce que je te propose est différent c’est de passer par une étape supplémentaire qui n’est pas naturelle, qui va permettre d’aller plus loin. Ta résistance est tout à fait légitime.
-
J’ai résisté ? Je ne vois pas bien où tu veux en venir. J’ai l’impression que tu tournes autour du pot.
-
Je n’ai pas envie de t’en dire plus, je voudrais que ce soit toi qui continues sur le sujet
-
Si tu veux, je ne peux pas me substituer à ce que tu as vécu, tu es le seul à savoir qu’elle a été ta démarche d’esprit.
-
En fait je commence à comprendre je dois raconter ce que j’ai fait, pour mieux l’appréhender, le dépasser en tirer une leçon pour le futur.
-
C’est tout à fait ça, bravo. C’est pour toi, mais aussi pour les autres ou pour d’autres actions qui peuvent très éloignées des premières.
-
C’est un peu le serpent qui se mort la queue la méthode est appliquée à elle-même pour mieux comprendre, il me semble qu’il y a du « meta 10» la dedans.
-
Attention aux « gros mots » tu as raison il s’agit d’apprendre à apprendre
-
Si je récapitule, quand il nous arrive une tuile, après un certain temps il s’agit d’en parler, avec nous-même quelquefois, pour en tirer une façon de faire, de comprendre ou d’agir pour notre vie future.
-
En fait il s’agit de ne pas aller trop vite à la conclusion, de prendre du recul, de la réflexion, ne pas être aspiré trop vite vers l’action. De prendre du temps, de se méfier des automatismes de pensée.
-
Je pense que c’est mieux d’avoir une personne pour nous aider à faire cette réflexion
-
Surtout dans ce domaine, ce que tu as vécu est très intériorisé, de plus tu as reçu un choc, donc tu n’avais plus les idées très claires
-
Si c’était qu’un choc..
-
A plus forte raison, la déstabilisation peut conduire à ne plus penser, l’aide d’un médiateur peut devenir indispensable pour passer les étapes et en même temps c’est toi qui as fait le travail et pas moi.
-
But:
Apprendre
à inférer de nouvelles relations à partir de relations existantes,
par déduction;
Apprendre
à tirer des conclusions.
C.
Hessels; 7225H: PEI autres instruments
L'INDUCTION :
est la découverte de lois, règles
ou concepts, à partir d'observations ou d'expériences
particulières. L'analyse des similarités et différences entre
différents éléments /situations permet de découvrir des
caractéristiques générales.
On
part du particulier pour arriver au général.
Ex:
le nid est à l'oiseau ce que …
est au chien.
Pour
trouver la réponse, il faut inférer la règle qui unit le nid à
l'oiseau et l'appliquer au chien.
LA
DEDUCTION : est le fait de
tirer une conclusion sur la base de propositions ou prémisses
(règles, lois).
On
part du général pour arriver au particulier.
Ex:
tous les livres sont en papier; le
papier est combustible; donc … La réponse doit être déduite des
deux propositions (règles) données.
C.
Hessels; 7225H: PEI autres instruments, p. 9/11
Dixième échange
-
Il me vient une idée, je ne sais pas comment l’exprimer, comment dire, il me semble que dans toute situation il y a du bon et du mauvais. En fonction de son état d’esprit on prend la partie que l’on veut où que l’on peut.
-
Alain il me semble que tu deviens un vrai philosophe ! Attention à ne pas tomber dans le travers de nombreux auteurs, de tout positiver, ce n’est pas de cela dont il s’agit, ou alors c’est du domaine de l’apprentissage.
-
Qu’est-ce que tu veux dire ?
-
Toute situation n’est pas bonne en soit, il y a même des situations catastrophiques qui ne sont souhaitables à personne, maintenant de toute façon on n’a pas le choix. Si on vit une situation de ce type, c’est difficile. Mais rien n’est complètement noir et quelle que soit la crise ou la situation c’est possible de tirer une réflexion, sans souhaiter à personne de vivre la même chose.
-
A l’occasion du Téléthon, j’ai écouté un jeune myopathe, il était incroyable, il avait une pêche que beaucoup de bien portants pourraient lui envier. Il a dit quelque chose qui m’a beaucoup frappé, je ne me rappelle pas exactement ses paroles, il voulait dire que sa maladie avait un avantage, il lui fallait se surpasser et vivre plus vite. A l’écouter il disait presque qu’il avait de la chance. Surtout il ne voulait pas que l’on s’apitoie sur son sort qu’il ne considérait pas plus mauvais qu’un autre.
-
C’est un bon exemple de ce que je voulais dire, attention tous les malades ne sont pas comme lui, c’est un gros travail d’arriver à un tel niveau de réflexion.
-
Alors qu’est-ce que tu vas m’apprendre sur cet échange je suis sûr que tu as une idée derrière la tête.
-
N’oublie pas que c’est toi qui a commencé cet entretien et tu as déjà dit l’essentiel : rien n’est blanc ou noir11, toute situation peut être bonne ou mauvaise. Les chinois parlent de yin et de yang c’est une bonne illustration.
-
Ca me rappelle le conte chinois avec le cheval.
-
Oui, c’est assez proche, c’est l’idée du paradoxe, que dans chaque partie on peut retrouver le tout12.
-
Et tout changement mérite réflexion, soit faire évoluer ce que l’on connaît déjà soit un changement complet de contexte.
-
Tu peux m’expliquer ça plus précisément !
-
Je te donnerai un exemple la prochaine fois.
-
Au revoir Alain.
3-
Communication, changement et complexité : les apports de l'école de
Palo Alto
La
conception qui reconnaît cette relation paradoxale où permanence et
changement sont conjointement présents, a été exploitée aux
Etats-Unis par l'Ecole de Palo Alto. S'appuyant sur les apports de
l'approche systémique, et tout particulièrement sur la question des
feed-backs dans la dynamique de changement, ainsi que sur le principe
émis par Whitehead et Russell selon lequel "ce qui comprend
tous les membres d'une collection ne peut être un membre de la
collection", la question du changement dans un système
relationnel s'est trouvée posée en des termes nouveaux.
Tout
d'abord, il est apparu de façon plus claire que la logique du
changement présidant aux membres de la classe (les personnes) ne
pouvait être la même que celle présidant à la classe (le système
constitué des membres et de leurs relations). Dans la mesure où, on
ne peut penser un être humain en dehors de ses relations à autrui
qui le constituent en propre, la problématique du changement, point
d’appui de réorganisations, doit bien aussi se situer au niveau de
la classe et non strictement de ses membres, ce qui invite à ne plus
strictement rechercher des dynamiques intra-psychiques,
individuelles, de changement.
Si
la théorie des groupes mathématiques est pertinente pour rendre
compte de ce qui se passe "à l'intérieur d'un système qui
reste lui-même invariant", c'est-à-dire où l'on aura modifié
des comportements mais où le résultat final restera identique,
c'est une autre logique qui nous permettra "d'examiner la
relation entre un membre et sa classe", ainsi que la
transformation particulière que constitue le passage d'un niveau
logique au niveau logique supérieur" : c'est la théorie des
types logiques.
Le
changement qui s'opère alors, que ces auteurs qualifient de
changement d'ordre 2, laisse entrevoir la possibilité de sortir de
l'impasse liée au changement d'ordre 1 (changement à l'intérieur
d'un système, où le cadre de référence, de communication reste
invariant), celle que l'on peut appeler du "toujours plus de la
même chose" alors que l'on voudrait sortir de cette chose même.
En
considérant donc que c'est un système relationnel qui
dysfonctionne, cela signifie, dans le cadre de la psychothérapie
développée par l'école de Palo Alto, qu'il n'y a plus un malade,
ni même un client, mais un système relationnel au sein duquel on
peut repérer, puisque c'est lui ou pour lui que l'on consulte, celui
qui est, dans cette perspective, nommé "le patient désigné".
En posant donc que c'est un système relationnel qui dysfonctionne,
on doit être en mesure de parvenir à ces sauts logiques propres au
changement d'ordre 2. Cela signifie, aussi, de ne plus se focaliser,
comme le recommande la tradition psychanalytique, sur le passé,
l'enfance, ni d'attendre le changement de l'anamnèse, du transfert
et des interprétations, mais de se centrer sur l'ici-et-maintenant
des relations en jeu exprimées et mises en oeuvre dans le temps de
la cure.
Le
changement d'ordre 2 s'obtiendra par certaines techniques qui tendent
:
1)
à opérer des "recadrages" du problème soulevé,
c'est-à-dire à parvenir à dépasser le premier niveau du problème
évoqué pour parvenir à méta-communiquer sur la situation, au lieu
de se laisser enfermer dans des tentatives de solutions conservant le
même système de référence, le même cadre (ordre 1). Dans la
perspective de cette école, délibérément constructiviste, la
méta-communication (ou capacité à introduire des règles pour
changer les règles) invite à concevoir que la réalité est ce que
chacun en construit pour soi. Il convient alors de dépasser ces
conflits inter-individuels pour modifier le cadre de références
afin d'inférer un changement d'ordre 2.
2)
A retenir comme levier du changement la situation paradoxale
elle-même (qui est à la fois le désir que cela change et la mise
en place de stratégies qui maintiennent in fine le système en
l'état). Dans cette perspective psychothérapeutique, l'une des
façons de "sortir" de ces pièges liés à la
communication paradoxale est de se servir du, à l'aide, par exemple,
de la "prescription du symptôme".
En
mettant en évidence certains des ressorts de la dynamique du
changement, nous voyons la nécessité de penser globalement le
système, si l'on veut parvenir à ce changement de cadre qui évitera
de s'enfoncer dans du "toujours plus de la même chose", et
échapper aussi à un dilemme de l'ordre de "la poule et
l'oeuf", où l'on chercherait à savoir ce qui est premier :
d'abord les personnes ou d'abord la relation ?
Les
règles pour changer les règles nous ramènent donc à
l'hypercomplexité propre au vivant. On peut considérer que les
sujets-en-relation constituent un système relationnel dès lors que
la relation est réciproque et authentique, c’est-à-dire que
l'ensemble est sous-tendu de façon globalement paradoxale : paradoxe
du Même et de l'Autre en ce qui concerne les acteurs, paradoxe de le
relation et de l'angoisse de séparation pour l'interaction, et
paradoxe du changement et de l'homéostasie pour le système
relationnel. Capable de résoudre des problèmes par la
méta-communication, le système relationnel est-il en mesure de
construire, de se doter de son propre sens ? Sous quelles conditions
pouvons-nous envisager de parler d'autonomie du système relationnel,
autonomie qui laisserait émerger des possibilités créatrices
nouvelles pour des acteurs engagés dans une relation fortement
signifiante ?
-
Sommaire
Introduction
Les
réseaux d’échange de savoir : « Mon savoir et moi »
Les
savoirs classiques ne suffisent plus : les savoirs émergents
De
quels savoirs a-t-on besoin aujourd’hui pour affronter un monde qui
change ?
Un
défi pour les réseaux d’échanges réciproques de savoirs.
Comment
développer des nouveaux savoirs dans des conditions de crise ou de
difficultés ?
Dialogue avec l’ange
Premier
échange : Prise de conscience des phases d’une
crise
Apport
théorique :
Les stades du deuil
d’après Elisabeth Kübler-Ross
Deuxième
échange : Les différents
types de savoirs
Apport théorique : L'intentionnalité
et la réciprocité
Savoir-faire, savoir-comprendre,
savoir-combiner Benoit Weil
Troisième échange : Les
crises peuvent être exploitées à notre avantage
Apport théorique : Christiane Singer.
Du bon usage des crises
Chance et malchance classique chinois
Huainan Zi
Quatrième échange : La
construction du savoir
Apport théorique : La connaissance
antérieure. Gaston Bachelard
Cinquième échange : La
perturbation serait nécessaire à l’apprentissage
Apport théorique : Le conflit
cognitif ou conceptuel Piaget
Sixième échange : Les
problèmes peuvent être différents
Apport théorique : Notion de
complexité Olivier Schmitt
Septième échange : Un
changement de perception après un accident
Apport théorique : Les crises nous
dévoilent Christiane Singer
Huitième échange : Les
différentes perceptions d’une m^me réalité
Apport théorique : Un adulte peut-il
devenir un résilient ? Boris
Cyrulnik
Neuvième échange : Une
méthode est-elle possible ?
Apport théorique : Induction et
déduction C. Hessels : PEI autres instruments
Dixième échange : Notion
de paradoxe
Apport théorique : Communication,
changement et complexité : les apports de l'école de Palo Alto
1
Neuf dixièmes des connaissances que les jeunes auront à maîtriser
au cours de leur vie n'ont pas encore été produites. Faut-il s'en
inquiéter, voire désespérer de pouvoir accéder à cette masse
d'informations ou bien s'interroger sur quels savoirs et quelle
culture acquérir et transmettre pour affronter " les océans
d'incertitude tout autant que les archipels de certitudes "(
Edgar Morin, 1999, « Relier les connaissances », Paris,
Seuil)
2
« Apprendre. » André Giordan
3
Partant du constat que « 70 à 80% des compétences
développées au cours de nos parcours professionnels seraient
acquis de façon informelle », (Hugues Lenoir ) On peut
comprendre l’importance de ces types de savoirs
4
Elisabeth Heutte, 2000, « Apprivoiser l’autoformation,
Paris, Intervention aux rencontres mondiales sur l’autoformation. »
5
« Du bon usage des crises. » Christiane Singer
Notre
Ange formateur utilise là une des condition de la réussite dans
une médiation pédagogique empruntée au PEI (programme
d’enrichissement instrumental) il s’agit d’être clair sur ses
intentions et d’avoir l’accord de la personne en face sur ces
intentions. C’est une condition fondamentale souvent oubliée dans
une conversation, même entre amis ou entre parents et enfants.
.
7
" Les
crises
nous dévoilent, si nous savons faire de l’échec un allié, notre
vraie vocation et nous conduisent au seuil d’une délivrance
insoupçonnée. "
Christiane Singer. Du
bon usage des crises
8
Voir la note du bas de la page 4 sur les conditions d’un échange :
L'intentionnalité et la réciprocité
10
Métacognition : La métacognition,
c'est une activité mentale qui nous permet de percevoir et de
comprendre comment nous exerçons notre pensée.
Cela nous procure éventuellement davantage de pouvoir pour mieux contrôler et gérer notre façon d'apprendre quelque chose..
Cela nous procure éventuellement davantage de pouvoir pour mieux contrôler et gérer notre façon d'apprendre quelque chose..
11
Ecrire et voir c'est pareil
et pour voir il faut de la lumière. Le paradoxe c'est qu'on peut
trouver la lumière dans le noir de l'encre. C'est comme la nuit sur
la page, et c'est pourtant la dedans qu'on voir clair (CHRISTIAN
BOBIN)
12
Enfin le principe
« hologrammatique » exprime le paradoxe suivant lequel
le tout est dans la partie et la partie est dans le tout. Ainsi chez
l’humain, chaque cellule contient dans son ADN la totalité de
l’organisme constitué de milliards de cellules. Donc, non
seulement la partie est dans le tout mais le tout est dans la
partie. L’idée d’hologramme se rapporte à celle de système et
se distingue de celle du réductionnisme qui ne voit que les parties
et celle du holisme qui ne voit que le tout. Il convient de
reprendre ici la célèbre formulation de Pascal qui immobilise
l’esprit linéaire: « je ne peux pas concevoir le tout sans
concevoir les parties, et je ne peux pas concevoir les parties sans
concevoir le tout ». (Edgar Morin)
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